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VANNOTTI M. (8/6/2013)

 Phénoménologie du corps, clinique de la douleur; tessons d'une rencontre

1. Introduction

Au cours des 20 dernières années, Michèle Gennart et moi-même avons ébauché une mosaïque, dont les tessons les plus sombres représentaient notre commerce avec la douleur. Comme expert psychiatre en Suisse, je devais évaluer chez les patients souffrant de douleurs chroniques invalidantes l’éventuelle présence d’une maladie mentale ; bien plus sûrement j’avais la tâche implicite de garantir à l’Assurance Fédérale de l’Invalidité que l’expertisé ne simulait pas une douleur qui aurait motivé des prestations sociales indues. Michèle Gennart, en sortant de sa thèse sur la phénoménologie du corps souffrant, m’a ouvert un horizon de compréhension de la dimension pathique de l’existence, des paradoxes de l’approche médicale de la maladie, du cœur dont il convient bien de faire preuve pour traiter de tels patients.

2. Approche phénoménologique de la maladie

En son niveau de réalité phénoménologique – non pas telle qu’on peut l’objectiver en faisant abstraction du sujet vivant qui la porte, mais telle qu’elle se réalise dans le monde de la vie « avant » toute intervention médicale cognitive ou pratique – la maladie se définit comme ce processus par lequel le sujet subit une atteinte au départ de son propre corps.

La maladie, le pâtir ne deviennent des données phénoménologiques réelles qu'à partir du moment où le niveau « personne » est impliqué, à partir du moment où le sujet fait l’expérience d’un malaise ou d’une détresse.

En son niveau de réalité phénoménologique, la maladie, en tant qu’événement de vie, atteint donc un organisme qui a en propre d’être un corps subjectivé (toujours corps de quelqu’un) et d’être un corps socialisé – marqué de part en part par la structure de l’échange et par celle de la communication intersubjective.

La maladie altère en effet notre contact avec nos proches. L'irruption de la maladie est un événement qui a valeur de crise non pour le seul sujet qui la vit, mais aussi pour l'entourage de ceux avec lesquels ce sujet atteint partage son existence.

3. L’expérience « pathique » de la maladie

La maladie n’est jamais, en ce sens, un phénomène purement biologique. Elle atteint un organisme qui, avant de pouvoir se réduire à un « corps physique », est le corps propre d’une personne, un corps habité. Or, c’est toujours au départ de son corps – et ce n’est jamais qu’à travers celui-ci – que l’homme agit, ressent, pense et communique, en sorte que tout événement qui l’atteint dans son corps atteint immédiatement la base de toutes ses possibilités d’existence. La notion d’expérience pathique de la maladie condense précisément tout ce en quoi la maladie affecte ou fait « pâtir » le patient.

La maladie produit tout d’abord une singulière division, voire une dissociation entre « nous-mêmes » et la partie de notre corps qui nous fait souffrir. L’expérience pathique première de la maladie peut ainsi se décrire comme le fait pour le sujet d’être « retourné » sur une partie de son corps, d’y être à la fois enchaîné sans pouvoir s’en distraire et, en même temps, d’en être aliéné, car tout se passe comme si la partie de notre corps qui nous fait souffrir n’était plus « nous-mêmes ».

En deuxième lieu, la maladie ne se joue pas dans ce seul espace de la présence à soi. Etre malade modifie notre « monde » – ce terme étant entendu, en un sens phénoménologique, comme rassemblant ce qui, pour chaque sujet, constitue l’Autre ; ce à quoi il a proprement affaire dans son existence. Or, le caractère éprouvant de la maladie vient de ce que quelque chose nous perturbe à l’intérieur de notre corps et du fait que « cela » qui nous oppresse corporellement entrave ou, dans les cas critiques, interrompt nos autres possibilités de réalisation, limitant ainsi notre horizon d’existence et donc de contact avec les autres.

Lorsque nous avons fort mal ou sommes très mal, nous ne pouvons plus rien faire – que ressentir douloureusement ce qui est en train de « mal aller » en nous. Une telle expérience est en outre souvent traversée par la peur, car ce qui va ainsi mal, tout en se déclarant « en nous », échappe à notre contrôle et laisse affleurer la menace d’une destruction ou d’une mort imminente (Lévinas, 1947).

La maladie nous éprouve donc en ce qu’elle réduit notre monde et l’appauvrit en rapprochant ses limites de la portée de notre corps – et cela en un sens mortifère, la mort seule assimilant la personne, sans plus aucun dépassement, à l’espace de son corps physique.

A l’inverse, la maladie fait que notre corps « s’épaissit » ; non seulement nous ne pouvons plus l’oublier, mais il tend à devenir lui-même une part importante de notre monde, une « chose » qui nous encombre, qui nous tourmente.

Insister sur le fait que la douleur transforme le mode de présence du corps vivant-vécu en introduisant une scission entre le « soi » et une part aliénée de lui-même (Gennart M., 2011, p. 96s.), c’est déjà dire que la maladie ne peut manquer d’agir sur la vie relationnelle du patient.

L’expérience pathique de la maladie a ainsi pour troisième espace de réalisation la relation à l’autre. Dans la maladie, la pression émanant de « ça » qui, dans notre corps, nous perturbe est telle que nous perdons une bonne part de notre aptitude à nous adonner à l’autre et à nous engager dans des préoccupations communes.

Le principe selon lequel la maladie affecte toujours et essentiellement un être social signifie d’une part qu’en perturbant le fonctionnement biologique, elle atteint l’homme comme sujet de relations, comme partenaire actif de telle ou telle collectivité de vie. Il signifie à l’inverse – le fonctionnement biologique participant de façon constitutive au réseau d’échange qui lie le sujet vivant à son environnement – que l’évolution de la maladie est “sensible” à ce qui se passe entre le patient et le contexte intersubjectif dans lequel il s’inscrit.

La douleur envahit les espaces intersubjectifs tout comme elle envahit l’espace du moi : elle devient alors un thème lancinant autour duquel se focalisent l’attention, les gestes et les échanges entre le patient et les membres de son entourage. Sous ses aspects les plus critiques, elle transforme l’ouverture du patient vis-à-vis des autres et la réduit en un sens que l’on pourrait résumer en ces termes, certes trop schématiques : « aidez-moi ou laissez-moi ».

La douleur, surtout chronique, fait dès lors « souffrir » les proches, parfois non moins que le patient lui-même. Si elle constitue pour ce dernier une menace portée à sa propre vie, elle constitue pour les proches une menace de séparation et de perte (Vannotti M., Célis-Gennart M., 1998).

3. La douleur : un phénomène « provoquant » 

Notre pratique (Vannotti M., Célis-Gennart M., 1998) nous a souvent confrontés à des patients qui font l’expérience de douleurs chroniques « inexpliquées » qui ne sont pas rattachées à une pathologie somatique claire – comme pourrait l’être la douleur cancéreuse. L’on a pris l’habitude de classer ces douleurs sous la qualification de troubles « somatoformes ». Elles sont rebelles au traitement et posent de sérieux défis aux médecins qui doivent accompagner ceux qui en souffrent.

Que peuvent nous enseigner ces patients qui ont mal, mais qui n'ont rien pour les justifier d'avoir mal, ces patients qui irritent parce qu'ils n'arrêtent pas de se plaindre alors qu'on ne leur trouve rien et qui n'arrêtent pas de reparler de leur douleur lorsqu'on voudrait les entendre parler d'autre chose ? Ils nous obligent à reposer des questions simples.

En premier lieu : qu'est-ce que la maladie ? Les patients souffrant de douleurs chroniques « inexpliquées » sont malades ; ils sont malades de douleur, mais ils n'ont pas de maladie identifiable. De qui ou de quoi doit-on dès lors dire qu'il tombe malade ? Qui, en d’autres termes, est sujet à la maladie ? Est un organe ou une fonction ? Est l'homme lui-même ? Et si c'est l'homme, est-ce l'homme en tant qu'individu psychophysique ou l'homme en tant qu'il appartient à un certain monde ambiant et intersubjectif ?

Le patient douloureux somatoforme n'a peut-être pas de maladie organique identifiable, mais il a mal quelque part dans son corps, et souvent dans tout son corps ; la douleur a, chez chaque patient, un ancrage et une configuration corporels bien déterminés. Qu'est donc le corps de l'homme pour pouvoir faire mal quelque part quand rien n'est là pour expliquer qu'il fasse mal ? Quelle est la relation réelle de l'homme à son corps ? Ou qui est l'homme pour pouvoir avoir mal quand il « n'a rien » ?

Sur la base de notre expérience clinique auprès de patients souffrant de douleurs chroniques « inexpliquées », nous voudrions redonner voix à la dimension provocante du phénomène de la douleur.

La douleur constitue, dans l'existence humaine, l’un des prototypes de la souffrance. Les patients douloureux chroniques sont les sujets qui ont le triste privilège d'avoir la douleur pour destin ; la douleur, à un moment de leur histoire, est devenue le caractère ou la tonalité de base de leur vie. Nous qui vivons hors douleur risquons par contre de perdre le sens qui nous permettrait d'entendre la plainte des patients douloureux.

Mais l'homme ne se borne pas à avoir mal ; il clame sa douleur. Il la clame par ses plaintes, mais surtout, par sa mimique, ses postures, ses silences, par l'alternance dans sa conduite d'une inertie figée et d'un inapaisement moteur qui le fait s'agiter et tenter, en bougeant, de fuir sa douleur. Par tous ces gestes qui forment l'expression de l'expérience douloureuse, le patient jette d'une certaine façon sa douleur à la tête de ses proches. La douleur ne fait pas souffrir que le seul sujet qui la vit dans son corps ; elle fait souffrir les proches ; elle les perturbe, leur pèse, les irrite ou les paralyse.

La douleur est un tourment qui se clame et qui fait appeler à l'aide. Mais pourquoi se clame-t-elle ? Pourquoi la douleur a-t-elle besoin de se clamer ? Comment l'autre est-il impliqué dans la douleur ? Celui qui a mal et qui clame sa douleur à un Autre met en demeure les médecins de l'entendre.

Le patient douloureux ne mobilise pas seulement ses proches ; il vient exiger du médecin que celui-ci, conformément à la finalité de son art, le soulage de sa douleur.

Seulement, face aux patients douloureux, la médecine atteint un point critique. Le médecin n'est pas vraiment en mesure de comprendre ce dont souffre le patient douloureux, ni de soulager sa douleur. Tel est ce que nous appelons la dimension « provocante » de la douleur.

Il importe alors à notre sens d’apercevoir les enjeux épistémologiques qui se rattachent à la conceptualisation de la douleur.

4. Les enjeux épistémologiques

Tandis que le patient atteint de douleurs chroniques pense et parle en termes d'expérience vécue — et se situe donc au niveau du corps propre – le médecin pense habituellement le corps tel que l'orientation de l'esprit scientifique dominant lui ont appris à l'objectiver. Or, suivant que l'on adopte l'une ou l'autre de ces perspectives, le phénomène de la douleur n'a pas le même niveau de réalité. Pour le patient qui souffre, la douleur est une expérience qui l'obsède dans son corps et qui le transforme par rapport à celui qu'il était avant la survenue du mal. Pour le patient, la maladie tient sa réalité du « souffrir » lui-même ; l'essentiel de la maladie, en d'autres termes, réside dans sa dimension pathique, et non dans sa configuration ou son substrat ontique.

Pour le médecin, en revanche, la douleur est à considérer avant tout comme un symptôme, c'est-à-dire comme un indice qui renvoie à autre chose que soi : à une altération ou à un dommage objectif de la réalité somatique. Ce n'est pas la douleur comme telle qui est « pathologique », mais la cause de la douleur. Dans cette perspective, la maladie ne tient pas sa réalité de ce qu'un homme souffre dans son corps, mais de ce que l'on peut déceler, dans un organisme, un état ou un processus qui dévie « pathologiquement » de la normale.

Or, comme V. von Weizsäcker (1987) le souligne, la douleur, par rapport à d'autres tourments, a ceci de particulier qu'elle ne peut se communiquer de façon pleine ou dans son intégralité. A l'état vif, la douleur est une expérience d'une nature telle, notamment en raison de son ancrage au corps, qu'elle résiste à la description et génère, dans la relation à celui qui souffre, une zone de non-compréhension.

Les contextes ou les systèmes de référence sur lesquels le médecin et le patient se basent respectivement lorsqu'ils thématisent la douleur sont donc profondément divergents.

5. Pour une approche intégrative du phénomène de la douleur

Pour quelle bonne raison avons-nous à raisonner sur l'appréhension devenue courante du trouble douloureux ? Essentiellement en raison du fait que le devenir d'une maladie (sa guérison, sa chronicisation ou son acutisation) n’est pas indépendant de l'attitude médicale. De l'agir médical et du savoir qu'il implique, bien sûr, mais aussi du faisceau de présuppositions plus ou moins tacites qui orientent autant cet agir que l'acquisition de nouveaux savoirs. L'accueil du patient et de sa plainte, la compréhension de sa souffrance, l'élaboration d'un diagnostic et la mise en œuvre d'un traitement – tous ces gestes qui ponctuent l'attitude médicale sont des gestes qui s'inscrivent dans le cadre d'une rencontre.

           Du symptôme au sujet vivant

Le patient vient consulter le médecin lorsque « quelque chose ne va plus » avec sa vie ; quand il a mal ou quand son corps perturbe quelque part. Le symptôme se présente ainsi comme ayant dès le départ deux directions de sens. Il renvoie à un niveau de réalité que le patient ne connaît pas, mais qui n'est autre que sa propre existence organique. Le médecin est celui que le patient consulte lorsqu'il a quelque chose qui ne va pas avec cette réalité de lui-même qu'il ne connaît pas : sa vie organique. Le médecin est celui qui a l'art d'interpréter le symptôme – dont le niveau de réalité premier est peut-être d'être un « malaise vital » - en ce qu'il signifie eu égard au (dys)fonctionnement organique. Il est aussi celui qui a les moyens d'agir au niveau biologique pour soulager ou guérir ce « malaise vital ».

Mais ce n'est pas parce que le patient ne connaît pas son corps (parce qu'il ne connaît par exemple pas la complexité ontique de ce dos qui lui fait mal) qu'il n'est pas son corps. Le symptôme renvoie ainsi au sujet vivant, au « sujet du corps », à celui qui n'a pas simplement un corps, mais dont le corps incarne la vie et qui, lorsqu'il a mal ou est perturbé dans son corps, est directement menacé dans sa vie. À ce niveau, la douleur ne peut plus être appréhendée comme une réalité ontique, comme un processus situé quelque part dans l'organisme. La douleur a ici essentiellement le caractère d'un événement critique. Elle est quelque chose qui nous arrive et nous atteint. Elle n'est pas d'abord ressentie comme un processus qui dérègle notre organisme, mais comme un procès qui nous affecte en personne, qui nous perturbe, nous interrompt, nous menace dans notre vie.

6. Propositions pour une approche renouvelée des patients douloureux

  • Appréhender la globalité du phénomène

Il importe, dans chaque cas, de chercher à mettre au jour les multiples dimensions impliquées dans la souffrance du patient. Le patient douloureux ne souffre en effet pas « que » de sensations douloureuses, même si ce tourment occupe souvent l'avant-plan de sa plainte. Il revient précisément au médecin d'explorer la constellation des motifs qui entourent la douleur et qui, intimement associés à celle-ci, dessinent la physionomie réelle et pleine de la souffrance.

Dans le contexte du trouble douloureux, il importe d'étudier la souffrance du sujet dans son caractère à la fois intrinsèque et global. « Intrinsèque » signifie que l'on prend au sérieux la manière dont le patient lui-même vit et présente sa souffrance, sans mettre en doute, sur la base de nos propres présupposés, l'authenticité de sa plainte ou le bien-fondé de sa propre perception de la situation. « Global » se réfère au fait qu'il importe de chercher à mettre au jour les multiples dimensions impliquées dans la figure particulière de la souffrance en jeu.

  • Inscrire le symptôme dans l’histoire de vie du patient

Il importe de resituer le symptôme dans l’histoire de la vie du patient, histoire dans le décours duquel ce symptôme a surgi et s’est stabilisé.

L’histoire est en effet l’élément où s’opère l’intégration des dimensions biologiques, psychologiques et sociales de l’existence. Et cela non seulement parce que le fonctionnement biologique, la vie psychique et l’existence sociale ont en commun d’être essentiellement en devenir, mais aussi parce que ces trois aspects du devenir, loin d’être indépendants, sont étroitement liés l’un à l’autre, formant précisément dans leurs interactions le cours concret et à chaque fois singulier d’une histoire de vie.

Replacer le symptôme dans l’histoire de vie du patient implique en fait que l’on subordonne le raisonnement étiologique à un mode de considération que nous qualifions par contraste de pathogénétique (Schotte, 1990). Tandis que l’étiologie raisonne en termes d’entités séparées (soit somatique, soit psychique, soit social) — entités induisant l’une sur l’autre des rapports de cause à effet —, dans la perspective pathogénétique, le somatique, le psychique et le social ne sont plus considérés comme des réalités en soi, mais comme les dimensions constitutives du sujet (le fonctionnement biologique n’est pas, en ce sens, moins « subjectif » que le fonctionnement psychique) (von Weizsäcker, 1958).

  • La cure du corps souffrant par le corps agissant du médecin

C’est assurément par sa présence que le médecin traite le sujet souffrant. La présence du médecin devient de plus en plus médiée par des dispositifs techniques : de l’ordinateur où il consigne les données cliniques significatives aux dispositifs d’imagerie médicale les plus sophistiqués. Il essaie, par ces écrans, de se dérober au visage, à la posture, au désespoir du sujet douloureux. Mais il ne le peut pas, moins en raison de la force expressive de son patient – vis-à-vis duquel il éprouve quelque méfiance – qu’en raison de sa propre réponse corporelle, émotionnelle et pulsionnelle, par laquelle il réagit, souvent à son insu, à la manifestation de la douleur. Malgré sa formation, qui le pousse à se pencher sur le corps malade en privilégiant sa seule dimension ontique, il est, de par sa nature humaine, engagé dans une danse intercorporelle qui sous-tend sa présence à l’autre.

La médecine moderne a imposé à ses élèves les gestes cliniques – l’inspection, la palpation, la percussion, l’auscultation – pour épier les signes qui permettent, scientifiquement, de conclure à un diagnostic. Mais ces mêmes gestes expriment une tension vers l’autre, une dimension contactuelle d’ouverture, de compréhension et de soin pour le corps et pour la vie de l’existant, qui vont bien au delà de toute utilité cognitive et fonctionnelle.

C’est pourquoi insister sur la pratique de ces gestes, accomplis régulièrement et à chaque consultation, c’est aussi insister sur la valeur curative du contact corporel, de la présence intercorporelle, de l’attention directe à ce corps souffrant si dur à porter lorsqu’on est seul.

C’est l’équivalent du geste fraternel de prendre par la main un autre qui court les mêmes risques – quant à son existence – que ceux que je peux moi-même courir. Prendre un autre par la main, poser ma main sur lui, c’est lui rendre moins noire la nuit dans laquelle la douleur le plonge ; c’est une façon de cultiver l’espérance.

7. Conclusion

Une approche phénoménologique et clinique des patients souffrant de douleurs chroniques nous invite à nous engager sur la voie d'une compréhension qui soit épistémologiquement plus fondée que celle qui recourt au dualisme corps – esprit.

Mais par delà certains préjugés discutables de la pensée biomédicale, les médecins restent, par la qualité de leur présence, l’un des piliers du traitement des patients douloureux.

Parler du trouble douloureux implique en effet que l'on trouve un lieu – la consultation médicale – où il soit à la fois possible de rencontrer celui-ci dans ce qu’il a d'irréductible, dans le défi qu'il ne cesse d'opposer à notre pratique et où, sans avoir la prétention de toutes les consolations, il devienne néanmoins possible de cultiver l'espérance.

 

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BIBLIOGRAPHIE

GENNART M. (1994): Corporéité et présence. Pour une phénoménologie de la dimension pathique du délire et de l’hallucination. Thèse de doctorat en philosophie présentée à l’Université de Louvain.

LEVINAS E. (1947): Le temps et l’autre. In: Le choix, le monde, l’existence. Grenoble-Paris: B. Arthaud, pp. 125-196

SCHOTTE J. (1990): Comme dans la vie en psychiatrie. Les perturbations de l'humeur comme troubles de base de l'existence. In Szondi avec Freud. Sur la voie d'une psychiatrie pulsionnelle. Bruxelles: De Boeck-Université (Bibliothèque de pathoanalyse); 173-212.

STRAUS E. (1956): Du sens des sens. Contribution à l’étude des fondements de la psychologie. Trad. franç. de G. Thinès et J.-P. Legrand. Grenoble: Millon, 1989.

VANNOTTI M., CELIS-GENNART M. (1998): Les malentendus du diagnostic de trouble somatoforme douloureux: plaidoyer pour une approche phénoménologique de la douleur. Revue Médicale de la Suisse Romande; 118: 173-83.

VANNOTTI M., CELIS-GENNART M. (1999). L’expérience plurielle de la maladie chronique. Maladie pulmonaire et famille. In : Corps et thérapie familiale. Bruxelles : De Boeck Université, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, pp. 113-137.

VON WEIZSAECKER V. (1940): Le cycle de la structure. Trad. franç. de M. Foucault et D. Rocher, préface de H. Ey. Paris, Desclée De De Brouwer Brouwer, 1958.

VON WEIZSAECKER V (1987): Die Schmerzen. In Gesammelte Schriften, Bd 5. Frankfurt a. M.: Suhrkamp,27-47.