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CHABOT A. (13/12/2014)

Névrose et liberté, le cas Flaubert

(Séminaire de l'Ecole française de Daseinanalyse, ENS 13 décembre 2014)

 

         L'Idiot de la famille, ultime tentative pour comprendre la liberté concrètement mise en œuvre par un "universel singulier", peut également être lu comme la suite d’études telles que Baudelaire (1946), Mallarmé, la lucidité et sa face d’ombre (rédigé en 1952 pour l’essentiel, publié en 1986) et le Saint Genet, comédien et martyr (1952). De ce dernier ouvrage, surtout, qui se voulait simple préface aux Oeuvres de Jean Genet, on peut retenir une formule – « le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés » [1] - qui s’appliquerait aussi bien au cas de Flaubert, quoique selon des modalités différentes, mais surtout une problématique de départ, véritable question de méthode qui mène directement à la tentative de totalisation menée dans L’Idiot de la famille : « Montrer les limites de l’interprétation psychanalytique et de l’explication marxiste et que seule la liberté peut rendre compte d’une personne en sa totalité » [2], expression qui trouve un écho direct dans la Préface de l’étude sur Flaubert : « Que savons nous – par exemple – de Gustave Flaubert ? Cela revient à totaliser les informations dont nous disposons sur lui. (...) C’est qu’un homme n’est jamais un individu; il vaudrait mieux l’appeler un universel singulier : totalisé et, par là même, universalisé par son époque, il la retotalise en se reproduisant en elle comme singularité. » [3]

        Echo, certes, mais dans une présentation qui, plutôt que d’insister sur les limites de la psychanalyse et du marxisme semble davantage vouloir prendre en compte, avec le "Flaubert", leurs apports afin d’aider à cette compréhension totalisatrice : et, sans doute, que, depuis le Saint Genet, Sartre soit passé par le Scénario Freud d’une part, la Critique de la raison dialectique d’autre part, n’y est pas étranger, tant il a pu approfondir sa propre connaissance de la psychanalyse et du marxisme.

          Ce projet totalisateur réclame en effet que soient utilisés (non sans les détourner, bien entendu) les outils forgés par Freud et par Marx, tant il s’agit pour Sartre de saisir un homme non du point de vue d’une liberté abstraite mais de sa liberté concrète, c’est-à-dire telle qu’il l’a réellement vécue, liberté toujours à nouveau à l’œuvre, d’une manière telle qu’elle « se développe en spirale, repassant par les mêmes points nodaux, quoique à différents niveaux de complexité » [4], ce qui implique qu’elle soit pensée tant du point de vue des déterminations singulières (origines, famille, inconscient) que du point de vue des déterminations collectives (époque, classe sociale, idéologie dominante, théories de l’art et situation de l’artiste dans la société), tant du point de vue de ce qui a ainsi déterminé cet homme - moment de la constitution - que du point de vue de sa liberté agissant sur cette ensemble de déterminations– moment de la personnalisation.

           L'enjeu est donc de comprendre le lien entre ce qui a fait Flaubert et ce que Flaubert a fait de ce que l'on a fait de lui - pour reprendre la formule maintes fois répétée par Sartre dans les années 60, notamment pour montrer les limites, à ses yeux, de l'approche structuraliste : "L'essentiel n'est pas ce que l'on a fait de l'homme mais ce que l'homme fait de ce que l'on a fait de lui." . C'est ainsi que cette formule générale s'illustre pour le cas Flaubert dans cette remarque de Sartre : « Je ne vais pas très loin dans l’attaque des parents. Je considère qu’ils ont produit Flaubert, c’est-à-dire quelqu’un qui a été malheureux et qui a trouvé à ce malheur une solution névrotique ». Ce que Flaubert a fait (personnalisation) de ec que son milieu (famille, classe, moment historique) a fait de lui (constitution), c'est précisément la névrose, que Sartre va donc considérer non comme un subi ou un déterminisme limitant voire niant sa liberté mais comme une option, c'est à dire une certaine réponse aux difficultés propres à sa situation. Or, ce qu'a de spécifique cette névrose flaubertienne c'est précisément l'engloutissement dans l'imaginaire : et c'est pourquoi il ne faut pas oublier que l'exploration de la liberté se veut ici l'exploration d'une liberté singulière, celle de Flaubert et de nul autre, c'est-à-dire en dernière instance la liberté d'un écrivain, d'un homme dont la liberté a fait, de manière du reste indissociable, le choix de la névrose et le choix des mots et de l'imaginaire, en un mot de la littérature.

         Ce lien entre liberté, névrose et choix de s'engloutir dans la littérature, avant de le comprendre cehz Flaubert, il faut rappeler qu'il était, en somme, tout entier l'enjeu du récit d'enfance de Sartre, récit de la formation d'une névrose dont le récit lui-même était censé assurer la liquidation à la fin du volume, dans un geste typiquement sartrien de reconnaissance rétrospective d'une névrose impossible à dire au présent, toujours relatée au passé, comme : cette névrose que j'ai connue des décennies durant mais dont je me suis défait dans la douleur (et, paradoxalement, par les mots...). Ainsi, à la fin de son autobiographie, Sartre écrit, non sans paradoxe, que sa névrose littéraire (et ici on frôle peut-être le pléonasme...) est liquidée et qu'il n'en continuera pas moins d'écrire, comme si la mise au jour de la névrose, et plus encore sa confession et sa dissection publiques, valaient liquidation, sans que l'acte d'écrire dût lui-même en être atteint ni paralysé : "J'ai désinvesti mais je n'ai pas défroqué : j'écris toujours. Que faire d'autre ? C'est mon habitude et puis c'est mon métier... Du reste, ce vieux bâtiment ruineux, mon imposture, c'est aussi mon caractère : on se défait d'une névrose, on ne se guérit pas de soi. Usés, effacés, humiliés, rencoignés, passés sous silence, tous les traits de l'enfants sont restés chez le quinquagnaire. La plupart du temps, ils s'aplatissent dans l'ombre, ils guettent : au premier instant d'inattention, ils relèvent la tête et pénètrent dans le plein jour sous un déguisement."

          Ainsi, afin de replacer le « Flaubert » dans une continuité sartrienne, souvenons que, dans Les Mots, dont L’Idiot de la famille peut apparaître à la fois comme la suite logique et comme la contradiction puisqu’il reprend la question de la névrose de l’écriture pourtant présentée comme liquidée à la fin du récit d’enfance, une réponse était apportée sous la forme d’un diptyque « névrose / religion » que l'on retrouve à l'oeuvre tout au long de l'étude sur Flaubert.

1. De la névrose à l'imaginaire

          Le choix de l’imaginaire relève, pour Sartre, de la névrose (du choix particulier d’un type de névrose particulière), c'est-à-dire de l’impossibilité de faire avec la réalité, de la fuite hors de cette réalité, du refuge dans un double du réel qui autorise, pour parler en termes freudiens, la conciliation certes illusoire mais nécessaire du principe de désir et du principe de réalité, de sorte que « L’appétit d’écrire enveloppe un refus de vivre » (Les Mots), ce qui semble indiquer qu’aux yeux de Sartre l’imaginaire est une réaction à la réalité, que l’enfouissement dans l’imaginaire doit donc être compris comme le symptôme majeur de l’impossibilité d’accepter la réalité ou, plutôt de lutter avec elle, d’agir en elle et avec des armes qui soient elles-mêmes réelles. Aussi l’imaginaire relève-t-il de l’illusion consolatrice, voire de la revanche contre une réalité toute-puissante et soudain dépassée, niée par la toute-puissance des fantasmes et des mots : ainsi on se souvient de la dernière page de la première partie des Mots, la confrontation de l’enfant avec cette incarnation du Réel, l’Autre, en l’occurrence les enfants de son âge jouant au jardin du Luxembourg, significativement décrits comme : « ces héros de chair et d’os », qui ignorent le héros désincarné, imaginaire, qu’est le jeune Jean-Paul livré à l’extase fictive d’être Pardaillan par la seule grâce des mots. « J’avais rencontré mes vrais juges, écrit Sartre, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait." Ici le Réel (l’épreuve de l’Autre) l’emporte sur l’héroïsme illusoire du lecteur enfoui dans la bibliothèque du grand-père.

A cette révélation de l’insuffisance réelle ne peut donc répondre que l’ébauche enfantine de ce que Sartre désignera dès le Saint Genet comme la stratégie du « Qui perd gagne ». Après que Jean-Paul eut refusé que sa mère sollicitât les enfants indifférents du jardin du Luxembourg pour qu’ils intègrent son fils à leurs jeux (d’où le portrait pathétique d’une mère et son fils « toujours implorants, toujours exclus »), on peut lire en effet : « Au crépuscule, je retrouvais mon perchoir, les hauts lieux où soufflait l’esprit, mes songes : je me vengeais de mes déconvenues par six mots d’enfant et le massacre de cent reîtres. N’importe : ça ne tournait pas rond. », ce qui marque que pour le jeune Sartre le recours à l’imaginaire est une stratégie malheureuse, à la fois subie et choisie, efficace et impuissante à répondre à la question de l’investissement qui lui fait défaut, l’investissement dans le Réel. La phrase suivante, qui ouvre à la seconde partie « Ecrire » fait précisément de l’écriture la continuation de la même illusion par un autre moyen, une systématisation du choix de l’imaginaire par un dévouement complet à celui-ci, autrement dit l’entrée dans la névrose, en la désignant comme une « imposture nouvelle ». Ce récit rejoint l’affirmation de Sartre (entretien avec Michel Contat sur L'Idiot de la famille, repris dans Situations X) : « J’ai voulu montrer la névrose comme solution à un problème ».

Ce que nous pourrions paraphraser ainsi : montrer l’imaginaire comme solution (mais fausse, illusoire, névrotique) au problème de la réalité.

2. Ecriture, religion, névrose

          En second lieu, le choix de l’imaginaire parce qu’il devient système en devenant croyance dans une vocation est l’équivalent du choix de l’illusion religieuse pour le croyant. La littérature est une religion sécularisée qui procède également par renversement : la contingence se retourne en nécessité, l’enfant superflu se métamorphose en un providentiel « être-pour-écrire », l’indifférence du Réel devient Election et mandat de devenir un Grand Ecrivain, enfin la mort se trouve dépassée et niée par le pari sur la postérité, qui n’est autre que la survie et le triomphe imaginaires de soi dans ce monde également imaginaire qu’est le Réel après soi. « Je confondis la littérature avec la prière », écrit Sartre dans Les Mots. Remarquons, sans qu’il soit possible ici d’emprunter cette piste jusqu’au bout, que cette assimilation de l’écriture et de la religion est en tous points conforme à des critiques majeures de la religion qui tendent précisément à envisager celle-ci comme le produit de « la haine de la réalité » (formule de Nietzsche dans L’Antéchrist), une réaction à la peur devant la réalité, donc une production imaginaire de substitution : dans le christianisme, Nietzsche voit « une forme d’hostilité mortelle à la réalité qui n’a pas été surpassée jusqu’à présent » tout en désignant dans la religion un « monde de pure fiction » qui « se distingue – tout à son désavantage – du monde du rêve par le fait que ce dernier reflète la réalité, tandis que le premier falsifie, dévalorise et nie la réalité. » De son côté, Freud, on le sait, assimile religion et névrose, écrivant dans L’Avenir d’une illusion : « Le vrai croyant se trouve à un haut degré à l’abri du danger de certaines affections névrotiques ; l’acceptation de la névrose universelle le dispense de la tâche de se créer une névrose personnelle » et sa définition de l’illusion religieuse (« l’homme ne se trompe pas parce qu’il ignore mais parce qu’il désire » selon les mots de Clément Rosset) permet de la mettre en relation étroite avec ce que Freud, analysant la relation entre névrose et littérature, désigne comme « fantaisie » (das Phantasieren dans le texte « Le créateur littéraire et la fantaisie »), définie comme « un correctif de la réalité non satisfaisante ». Ainsi, en effet, la réflexion de Sartre sur le choix de l’imaginaire combine d’emblée ces deux composantes : névrose et religion, qu’il retrouvera dans L'Idiot de la famille, ouvrage dans lequel, on le comprend dès lors, ce n’est pas tant Flaubert que le choix radical de l’irréel qui se trouve mis en procès.

3. Maladie, névrose et liberté

          Il serait évidemment impossible de rendre compte ici de l'analyse serrée des deux mile pages de L'Idiot de la famille. C'est pourquoi je propose de m'arrêter sur deux points centraux de la démonstration sartriene visant à relier, si ce n'est même à assimiler, névrose, liberté et écriture : d'abord, la point très controversé de la nature nerveuse ou névrotique de la maladie de Flaubert; d'autre part, la fonction de la figure paternelle dans la névrose de Flaubert et son lien avec le choix de se faire écrivain.

          La question de la maladie de Flaubert et de son caractère névrotique, point nodal de son argumentation, est celle sur laquelle ont porté les critiques les plus courantes apportées à l'étude de Sartre. La question de l'épilepsie est effectivement la question même de la liberté et elle est également révélatrice de ce mélange de distance tapageuse et de vraie proximité qu'entretient Sartre avec Freud et la psychanalyse. Pour Sartre, la maladie est névrotique car la névrose est le produit voire l'expression même de la liberté, conformément à la dernière phrase de son étude sur Flaubert : "La maladie de Gustave exprime dans sa plénitude ce qu'il faut bien appeler sa liberté."

          La réfutation de l’épilepsie n’est donc pas une thèse parmi d’autres, elle constitue l’une des deux affirmations essentielles de L’Idiot de la famille, comme l’a fait observer très justement Jean Bruneau : « Les deux premiers volumes de L’Idiot de la famille sont édifiés sur deux ensembles de faits, deux piliers : la proto-histoire de Flaubert, qui implique le milieu familial, et la maladie nerveuse, que Sartre diagnostique comme une névrose. » [5]

L’importance de la thèse selon laquelle Flaubert n’est pas épileptique mais névrosée est également démontrée par les critiques de Marthe Robert dans son essai En haine du roman. Elle y réfute en effet l’idée de Sartre selon laquelle la « maladie nerveuse » de Flaubert, son épilepsie supposée, admise par tous les biographes, serait en réalité un choix hystérique lié, précisément, à son père.

La logique qui relie, dans L’Idiot de la famille, l’analyse des relations entre Flaubert et son père et la réfutation de la thèse de l’épilepsie n’a d’ailleurs échappé à aucun critique. Ainsi, Jean Bruneau écrit : "L’épilepsie n’était qu’un destin; la névrose permettait la “psychanalyse existentielle”... Si Flaubert a souffert du haut-mal, en effet toute l’analyse de sa proto-histoire et de ses œuvres de jeunesse s’effondre et le mystère de l’homme-plume reste entier. » Dans la même logique, Marthe Robert observe : « En cela du reste Sartre est tout à fait conséquent : comme il ne voit Flaubert que sous les traits du “cadet rageur”, délaissé de surcroît par son père à cause de son “idiotie” et occupé en tout et pour tout à se doter d’une existence fabriquée, il ne croit pas non plus à l’authenticité de sa maladie; pour lui l’accès qui foudroie Gustave en 1844 sur la route de Pont l’Evêque n’est que l’expression théâtrale de son désir d’interrompre ses études de droit et de rentrer chez lui, en enfant plaint et choyé; enfin l’excuse toute trouvée, encore qu’à demi consciemment, qui lui permet à tout jamais de déposer les armes dans la lutte pour la vie. » [6]

Cependant, les expressions employées par Marthe Robert pour synthétiser la thèse sartrienne ne rendent pas compte de celle-ci avec justesse : il n’est pas vrai que Sartre « ne croit pas non plus à l’authenticité de sa maladie », mais il est vrai en revanche qu’il réfute le caractère organique de cette « maladie nerveuse », ce qui est très différent; il n’est pas vrai non plus qu’il dévalorise en aucune manière la sincérité de la crise en considérant que cet accès ne serait « que l’expression théâtrale de son désir... » mais il est vrai qu’il considère dans cette crise un moyen à la fois subi et choisi pour exprimer son malaise névrotique et donner une forme définitive à son « option passive », à sa « conduite d’échec » et à sa stratégie du « qui perd gagne », ce qui, là encore, est très différent.

Il convient d’abord de rappeler, avec Jean Bruneau, que le diagnostic névrotique et la réfutation du diagnostic épileptique ne sont pas, à l’origine, une idée de Sartre mais du docteur René Dumesnil, éminent spécialiste de Flaubert – un diagnostic qui, il est vrai, « cadrait » parfaitement avec la thèse générale de L’Idiot de la famille.

Ensuite, il convient également de rappeler que l’hypothèse selon laquelle le névrosé peut faire le choix de la maladie comme d’un « refuge » est l’une des affirmations les plus anciennes et les plus constantes de la psychanalyse freudienne. Ici s'observe donc une convergence passionnante de Sartre et de Freud, qui prouve que la légèreté avec laquelle Sartre use du vocabulaire psychanalytique et en particulier du concept de "névrose" n'est peut-être qu'apparente. Ainsi Freud observe que « la solution d’un conflit par la formation d’un symptôme est la solution la plus commode et celle qui cadre le mieux avec le principe de plaisir » [7] et ajoute qu’« on a pu dire que le névrosé, pour se soustraire à un conflit, se réfugie dans la maladie » [8], ce qui correspond assez précisément à ce que Sartre nous dit de Flaubert.

Dans la critique de la thèse de Sartre par M. Robert, l’essentiel manque : le raisonnement qui avait conduit Freud, dans son texte de 1928 Dostoïevski et la mise à mort du père (aujourd’hui préface au roman Les frères Karamazov chez Gallimard) à mettre en cause le diagnostic épileptique – au sens d’une maladie organique - au sujet de Dostoïevski. Freud aboutit à cette mise en cause en considérant les relations de l’écrivain russe et de son père[9] : ainsi, la thèse de Freud selon laquelle « il est éminemment vraisemblable que cette soi-disant épilepsie n’était qu’un symptôme de sa névrose, laquelle par conséquent devrait être classée comme hystéro-épilepsie... » [10] est liée à deux séries de considérations.

La première consiste à distinguer deux types d’épilepsies, épilepsie organique et épilepsie affective. La seconde considération avancée par Freud est que « l’accès – appelé hystérique – est une autopunition pour le souhait de mort envers le père haï » [11], ce qui fait de l’épilepsie névrotique une conséquence, ou un symptôme – un moyen d’expression – de l’ambivalence à l’égard du père et du sentiment de culpabilité lié à la haine qu’il inspire ainsi qu’au désir de se substituer à lui. Dans le sentiment d’anéantissement qui est propre à l’accès épileptique, c’est cette punition du désir de tuer le père que lit Freud.

Ce qui frappe dans ce texte, c’est tout ce qui, dans sa thèse principale comme dans ses remarques annexes, permet le rapprochement avec l’analyse de Sartre au sujet de Flaubert : l’ambivalence à l’égard du père « méchant » - dont la méchanceté tient tout entière, chez Gustave, dans une « malédiction » qui condamne le cadet à l’infériorité -; l’épilepsie et la maladie comme expression d’un conflit psychique lié à la figure paternelle; la coexistence au sein d’un même individu de « la plus haute performance intellectuelle » [12] et de la tendance épileptique; la présence du masochisme et d’une homosexualité latente comme produits de la névrose paternelle; la crise épileptique comme recherche de l’anéantissement; le lien étroit entre conservatisme et légitimisme politiques et la dépendance à l’égard du père.

Ce parallèle est troublant : il s’agit là, en effet, de certains des principaux aspects de la thèse de Sartre au sujet de Flaubert. L’enjeu de ce parallèle, qu’on ne peut pas balayer du revers de la main, n’est donc pas seulement la valeur qu’il faut accorder à la réfutation de l’épilepsie pour des raisons névrotiques (même si on s’étonnera de lire que celle-ci serait, chez Sartre, absurde et désinvolte, alors que Freud parle plus nettement encore à propos de Dostoïevski de sa « soi-disant épilepsie » [13]) mais encore la relation fondamentale qu’établit Sartre entre figure paternelle, névrose, maladie et création – relation dont il nous apparaît que, loin d’être contraire à la théorie psychanalytique, elle rejoint d’une manière troublante la logique développée par Sigmund Freud dans nombre de ses écrits et particulièrement dans le célèbre portrait de Dostoïevski que l’on vient de citer.

4. Père, névrose, liberté et création

Ces considérations mènent droit au second élément essentiel de la thèse de Sartre, la centralité de la figure paternelle. Si le Père, la névrose et la création ont partie liée dans cet ouvrage, c’est parce que tous trois ont à voir avec l’imaginaire. La névrose de Flaubert est ainsi une solution imaginaire substituée à la réalité insupportable – en cela, le propos sartrien est conforme à la psychanalyse freudienne. Reste le Père, qui doit lui-même être compris comme la figure dans laquelle se joue, de manière décisive, le rapport entre la réalité et l’imaginaire. De manière lumineuse, Sartre observe dans un passage essentiel du troisième volume : « Avant la chute, en somme, il y avait deux êtres en un : le père symbolique et le père empirique coïncidaient... Bien sûr, ça ne collait pas tout à fait... Cette bonhomie ne suffisait pas à distinguer l’homme de chair avec qui Gustave dînait tous les jours de la persona qui l’avait un jour maudit. Moïse, c’était la vérité de cet homme. Le père symbolique n’était jamais là, mais il semblait encore plus redoutable dans ses absences. » [14] Si on reconnaît dans ce premier passage, et jusque dans le vocabulaire même qu’il emploie, l’analyse freudienne de l’ambivalence de la figure paternelle, entre père réel et père symbolique, la suite tend à montrer précisément que si le père réel a ses défauts, c’est bien du père symbolique qu’il est question lorsque Sartre développe les thèmes de la malédiction paternelle, de l’idiot de la famille, du désir parricide nourri par Gustave et nourrissant chacune de ses œuvres, de la jeunesse à la maturité [15].

Car Sartre prend grand soin de le préciser, Achille-Cléophas, dans sa réalité empirique, n’est pas celui que le Fils met en cause – de sorte que, justement, l’objet complexe de sa rancune, de sa haine et de sa fascination toujours se dérobe et ne pourra s’atteindre que dans l’imaginaire. Il suffit de considérer que, dans la vision que Sartre prête à Flaubert, le père « avait maudit Gustave dès avant sa conception » [16], ce qui conduit donc à mettre en lumière la distinction opérée par Gustave entre « les deux habitants du chirurgien-chef » : « ... les ambitions bourgeoises d’Achille-Cléophas – qui voulait un fils procureur -, bien que plus pénibles encore à Gustave, ne rejoignaient pas les intentions diaboliques du pater familias qui exigeait pour son cadet la déchéance suprême suivie de la mort la plus infâme. » [17]

De fait, on retrouve ici un thème omniprésent dans le Scénario Freud, celui de la distance entre le Moïse imaginaire – terrible, absolu, inexorable par essence – et le père réel : « Reste un pauvre homme dépassé par les événements et qui veut bien faire. Or ce n’est pas à celui-ci que Gustave en veut, c’est à l’autre. Et chaque fois qu’il croit pouvoir constater la déchéance du père symbolique, à l’instant Moïse disparaît : il échappe par essence au ridicule, c’est la Loi... » [18] Plus haut, Sartre avait précisé que « Gustave se soucie peu des sentiments réels de son père... » [19] Et pour être tout à fait clair, il observe au sujet du père réel : « Ce n’est pas Satan, c’est un homme fort mais aveuglé par les préjugés de son époque et de sa classe d’adoption. » [20]

Ce qui fait cependant la spécificité du père de Flaubert dans notre trilogie, c'est que ce père réel ressemble à ce « rude Moïse » qu’est le père symbolique. Et pourtant, faut-il immédiatement ajouter, s’il lui ressemble, il ne l’est pas. C’est dans cette nuance importante que réside la complexité du portrait sartrien. Ainsi, lorsqu’il observe, pour distinguer le père réel et le père symbolique imaginé par le Fils, que « ce qui est bien réel, par contre, c’est le regard inquisiteur d’Achille-Cléophas », c’est pour s’interroger immédiatement : "Inquisition ou sollicitude ?", manière de prendre ses distances avec la manière dont Gustave vit, ressent et imagine tout à la fois le regard de son père.

Ce qui conduit à cette synthèse complexe : « Pour créer ce Seigneur imaginaire, Achille-Cléophas a fourni tous les matériaux... En ce sens, jamais père empirique n’a été plus proche du père symbolique et n’a contribué si fort à le personnaliser. » [21]

Pour illustrer cette distinction néanmoins nécessaire entre Achille-Cléophas et la figure paternelle construite par Gustave, rien de plus significatif que la question de la mort du père. En premier lieu, la névrose de Gustave apparaît à Sartre comme nourrie d’une culpabilité qui pourra nous sembler, à première lecture, étrange : la culpabilité du parricide. Pour Sartre, l’origine de la crise de 1844 est pourtant à rechercher dans « sa brusque certitude terrifiée d’assassiner Achille-Cléophas ». Dans La légende de Saint Julien l’Hospitalier, le second des Trois contes, Sartre lit ainsi une réécriture du mythe d’Oedipe – de la même manière que Freud interprète Hamlet ou Les Frères Karamazov comme l’expression du plus profond et du plus inacceptable des désirs humains, le désir parricide.

Le parallèle avec les écrits de Freud va d’ailleurs plus loin : pour Sartre comme pour Freud, le sentiment de culpabilité et l’absence de passage à l’acte ne sont nullement incompatibles. « Est-ce un parricide, du reste ? Oui, passif. » [22], écrit Sartre, autre manière de dire que « simplement, comme les actes qu’il a cru faire n’étaient que des gestes, le crime sacré s’est réduit à une imagination criminelle. » [23] Or, on le sait, la psychanalyse freudienne avance précisément l’idée que, chez le névrosé, la distinction entre la faute imaginaire et la faute réelle fait défaut, engendrant ainsi une culpabilité profonde au regard d’actes qui, paradoxalement, n’ont jamais été accomplis. Par ailleurs, cette absence de distinction entre réel et imaginaire est particulièrement importante dans la formation de la névrose lorsqu’il s’agit du meurtre du père. C’est ce que la psychanalyse désigne comme la croyance dans la « toute-puissance des pensées ».

Ainsi, Freud observe dans Totem et Tabou : « Le sentiment de culpabilité des névrosés est fondé seulement sur des réalités psychiques, non sur des réalités factuelles. Ce qui caractérise la névrose c’est qu’elle met la réalité psychique au-dessus de la réalité factuelle, qu’elle réagit à des pensées avec un sérieux aussi grand que les êtres normaux ne le font qu’à des réalités. » [24]

Or, une fois de plus, cette pensée qui est considérée avec autant de gravité qu’un acte réel, c’est le désir parricide, celui-là même qui aurait été commis aux origines de l’humanité. Sartre en évoquant le complexe d’Oedipe à propos de La Légende de Saint Julien l’Hospitalier, avance cette remarque qui s’accorde de manière étonnante avec l’analyse de Freud que nous venons de citer : « L’Oedipe moderne n’est pas celui qui devient parricide sans le savoir mais celui qui rêve de tuer sans aller jusqu’au crime. » Et d’ailleurs, conscient de cet accord, il ajoute : « Tout se passe comme si, freudien d’avance, Gustave saisissait le vrai sens des remords de son héros. » [25]

En second lieu, si l’on considère, en effet, que le père est en cause dans la névrose du fils, alors sa mort peut apparaître comme une libération; pour autant, si on considère également que le père réel est loin d’être seul en cause, et même loin d’être prioritairement en cause, mais que c’est l’image construite du Père symbolique qui importe le plus, alors on doit postuler que la mort du père réel ne sera pas à même de générer une telle libération. C’est bien cette idée que l’on trouve sous la plume de Sartre lorsqu’il s’agit pour lui de comprendre l’impact de la mort d’Achille-Cléophas sur Gustave. Qui meurt, en effet, lorsque le père réel meurt ? « Est-ce à dire que Moïse, mort, cesse d’être ? Au contraire : il subit, comme la vie passionnée de son fils, une transmutation ontologique. » [26]

Là encore, le parallèle avec les développements de Freud sur les conséquences du meurtre du père est évident : après le meurtre du père par les frères coalisés, ces derniers mangent le cadavre du père et s’identifient ainsi à lui et, écrit Freud, « Le mort devint plus fort que ne l’avait été le vivant... Ce qu’il avait empêché autrefois par son existence, ils se l’interdirent dès lors eux-mêmes, placés dans la situation psychique... de l’“obéissance après coup” », intériorisation des interdits que l’on peut considérer comme l’origine de la moralité chez l’être humain. Or l’interprétation que propose Sartre de la mort imaginaire du père dans La légende de Saint Julien l’Hospitalier rejoint ces hypothèses freudiennes : « Le géniteur est tué et, à présent, voici qu’il lui ressemble : Gustave s’est transformé en Achille-Cléophas par le fait même de l’avoir occis. » [27] Cette survivance en Gustave du père symbolique – que Sartre désigne comme « Moïse » - après que la mort du père réel a effectivement eu lieu, c’est donc également ce à quoi menait, chez Freud, la remontée aux origines du complexe paternel dans Totem et tabou.

Ainsi, la figure paternelle permet à Sartre de synthétiser et d'incarner son propos : à l'origine de la névrose, le Père est également le produit de cette névrose, sa création imaginaire, qui ne pouvait mener Flaubert qu'à s'engloutir dans l'irréalité des mots.

5. L'imaginaire : névrose et écriture

          En dernier lieu, il faut en effet interroger le lien essenteil à la thèse de Sartre : l'assimilation de la névrose et de la liberté étant une constante de l'ouvrage, il faut comprendre la seconde assimilation à l'oeuvre : l'assimilation de la névrose et de l'écriture, qui nourrit, essentiellement dans sa troisième partie, le procès du choix de l'imaginaire.

Si la question de l’irréel dans L'Idiot de la famille est essentielle à son propos, c’est qu’elle exprime de manière complexe la thèse centrale selon laquelle « Flaubert se fait dans la mesure même où il est fait par la situation et les événements » (IDF 1467) Ce choix exprime en effet à la fois la constitution et la personnalisation de Flaubert, c’est-à-dire la reprise de ces déterminations par un Sujet libre.

Ce projet est marqué par l’idée permanente d’échec : comme si le choix de l’imaginaire ne pouvait être finalement analysé par Sartre qu’en des termes dépréciatifs et avec une réticence constante. Cependant, ce n’est pas que le choix de l’imaginaire se solde par un échec, c’est qu’il est le choix de l’échec : le paradoxe de ce projet de l’imaginaire tient au fait que son plein accomplissement ne peut signifier que le triomphe de l’échec de Flaubert.

Le choix de l’imaginaire par Flaubert est analysé par Sartre, conformément aux remarques par lesquelles je commençais au sujet des Mots, comme une réaction au Réel dans lequel il est pris, c’est-à-dire ici, avant tout, comme réaction de Flaubert à sa « constitution » la plus précoce, autrement dit sa « protohistoire ». La « passivité constituée » de Flaubert est présentée comme le produit de la froideur maternelle, de l’autoritarisme du père et de l’idéologie féodale qui règne dans la famille Flaubert. C’est le temps de ce que Sartre a appelé dans les Cahiers pour une morale les « pièges à liberté » qui constituent Flaubert comme une « nature » (« Je nais avec ma nature parce que d’autres hommes sont venus avant moi. »). Les éléments constitutifs majeurs de l’être passif se cristallisent dans « l’être-cadet », être annoncé et affirmé par la malédiction paternelle, qui fait de l’infériorité du cadet son destin et son être indépassable. La passivité à laquelle est vouée Flaubert, c’est la paralysie, l’enfermement dans « le point de vue de l’En-soi sur le Pour-soi », définition que donne justement de la « passivité » les Cahiers pour une morale.

Néanmoins, Sartre refuse de considérer cette constitution passive comme l’équivalent d’une fatalité. Et c’est ici, précisément, qu’intervient l’imaginaire. C’est à tort, en effet, que l’on lirait l’histoire de Flaubert comme l’histoire d’un être déterminé par sa famille à être un « idiot », comme le titre provocateur de l’ouvrage pourrait le donner à penser. Certes, cette passivité constituée oriente cette liberté : c’est ce que Sartre appellera la « nécessité de la liberté ». Mais ce paradoxe de la liberté conduit à une première appréhension de l’imaginaire, qui ne saurait ici être compris comme une condamnation de Flaubert à l’irréel. L’imaginaire est, tout au contraire, l’expression essentielle de la liberté de Flaubert, l’élément clé de sa personnalisation, au point que le terme d’imaginaire n’est du reste peut-être pas le plus éclairant : mieux vaudrait-il parler d’un travail d’irréalisation (de l’Autre, de soi) qui, à partir du Réel, produit un double de la réalité (je pense ici à l’ouvrage de Clément Rosset, Le Réel et son double), qui tout à la fois corrige, nie et croit dépasser celle-ci. Autrement dit, l’imaginaire est un acte et, paradoxalement, un acte tourné vers le Réel puisque dirigé contre lui. Il est la production d’une réalité autre dont la fonction est de se substituer à la réalité vécue - ce qui le rapproche, précisément, de la "névrose".

Cette première idée conduit elle-même à une seconde observation : que la production de l’œuvre d’art n’est, dans L'Idiot de la famille, que l’ultime avatar de ce travail de déréalisation – et c’est en cela que Sartre fait à nouveau le lien entre écriture et névrose, écriture et aspiration religieuse. L’imaginaire n’est pas, en effet, le propre du Flaubert écrivain : ou plutôt faut-il comprendre que le choix de la stratégie de l’irréalisation du Réel et le choix de devenir écrivain s’opèrent de concert. En ce sens, on peut dire que l’écriture est l’une des modalités possibles de cette stratégie de l’irréalisation menant à « l’impérialisme de l’imagination ».

Ce que montre Sartre avant même d’aborder de front, dans la dernière partie de l’ouvrage, l’enjeu de l’écriture, c’est donc que la stratégie d’irréalisation est précoce et qu’elle est elle-même créatrice : c’est ce à quoi il s’attache particulièrement tout au long de l’ouvrage en suivant la relation de Flaubert avec son père et c’est ce que certains critiques ont si mal compris en croyant que Sartre décrivait le père réel de Flaubert alors qu’il tente de cerner le père de Flaubert tel que Flaubert ne cesse de le créer, de l’inventer, de le fantasmer, à partir des traits de sa personne réelle. Or, la constitution imaginaire de la figure paternelle fait écho au choix d’être lui-même un imaginaire et elle est elle-même présentée comme une cause directe du choix de se faire écrivain : ces deux recours à l’imaginaire se répondent donc et se produisent l’un l’autre aussi bien dans la névrose que dans l’oeuvre de Flaubert, bientôt impossibles à distinguer. Ainsi, Achille-Cléophas est constamment montré par Sartre comme une création, nous pourrions dire : comme le premier personnage issu de l’imaginaire de Flaubert, dont le corollaire est naturellement ce second personnage, le fils lui-même.

Plusieurs raisons doivent finalement inviter à insister finalement sur le lien entre névrose, imaginaire, écriture et fantasme de la figure paternelle. D’abord parce que le lien entre le Flaubert décrit dans l’IDF et le jeune Sartre portraituré dans Les Mots est frappant : du fait de sa disparition précoce, le père de Sartre est lui-même condamné à l’irréalité ; aussi devient-il une source permanente de production imaginaire, à commencer par l’investissement sartrien dans le mythe virgilien d’Enée et d’Anchise, de l’écrasement du fils par le père qu’il doit porter sur son dos pour lui sauver la vie après la chute de Troie, image qui cristallise et exprime mieux que tout discours l’horreur sartrienne d’avoir un père sur soi, autrement dit un Sur-Moi. Mais contre ce père condamné à demeurer imaginaire, quelle attaque, quelle affirmation de soi si ce n’est le retournement de l’imaginaire contre la figure paternelle, qui explique l’omniprésence des figures paternelles mises en scène dans l’œuvre sartrienne, qu’il s’agisse du père de l’Enfance d’un chef, du Père dans Les Séquestrés d’Altona ou, précisément, d’Achille-Cléophas Flaubert dans l’IDF ?

Car, de même, le rapport que Sartre prête à Flaubert avec son père n’est, de bout en bout, qu’un rapport imaginaire qui exprime précisément l’ambivalence de la liberté : si le fils est constitué par son père, ce dernier n’est lui-même qu’une création de la liberté du fils, qui s’exprime dans le fantasme du Père en Dieu punisseur, voire en Satan. Dès lors, nul étonnement à ce que Sartre qualifie d’une part le Père de « Seigneur imaginaire » (« Pour créer ce Seigneur imaginaire, Achille-Cléophas a fourni tous les matériaux », IDF 1893) et le Fils devenu écrivain de « Prince de l’imaginaire » (IDF, 452).

Le lien étroit entre l’invention d’une figure paternelle imaginaire, la création d’un Moi imaginaire (maudit, condamné à l’insuffisance et à l’échec) et la production de l’œuvre d’art, enfouissement définitif dans l’irréel, est exposé clairement par Sartre ; aussi peut-on lire que « Chaque ouvrage de Gustave a l’office de renouveler dans l’imaginaire la crise originelle, c’est-à-dire la Passion du Fils et le meurtre du Père » (IDF, 1907) Dès lors, le recours à l’imaginaire dans l’écriture doit être compris comme la continuation de l’irréalisation déjà à l’œuvre par un autre moyen : c’est en approfondissant cette idée que l’on peut comprendre l’affirmation de l’ambivalence inhérente à l’œuvre d’art flaubertienne (et, sans doute, à toute production de l’imaginaire aux yeux de Sartre), celle qui fait de Madame Bovary, selon l’affirmation maintes fois réitérée dans L'Idiot de la famille, à la fois une « défaite » et une « victoire ». C’est cette ambivalence qui permet de mieux comprendre l’enjeu proprement littéraire du procès de l’imaginaire intenté par Sartre à travers Flaubert, c'est-à-dire ce qui se joue ici d’une théorie sartrienne de la littérature opposée à la théorie de l’Art pour l’Art.

De ces quelques considérations à la fois trop rapides et trop longues, peut se dégager une idée centrale : parce que la névrose est l'expression de la liberté, le choix de l'iréel est pour l'écrivain l'aboutissement de cette même névrose, ele est cettenévrose transformée en un système, l'écriture, qui se révèle donc fuite devant la toute-puissance oppressive de la réalité. Tel se comprend Flaubert - tel sans doute se comprend Sartre lui-même derrière le masque de Gustave.



Présentation de Saint Genet, comédien et martyr.

Présentation de Saint Genet, comédien et martyr.

IDF, tome 1, Préface, pages 7 et 8.

Hadi RIZK, Dictionnaire Sartre, page 235.

Jean Bruneau, Sartre biographe de Flaubert, in Lectures de Sartre, page 166.

En haine du roman, pages 58-59.

Introduction à la psychanalyse, chapitre 24, page 360.

Ibid. C’est Freud qui souligne.

Coïncidence ou non, il n’est peut-être pas indifférent non plus de constater que lorsqu’il définit la psychanalyse existentielle dans L’Etre et le néant, au chapitre déjà cité, Sartre prend lui-même deux exemples, justement Flaubert et Dostoïevski : « C’est une méthode destinée à mettre en lumière, sous une forme rigoureusement objective, le choix subjectif par lequel chaque personne se fait personne, c’est-à-dire se fait annoncer par elle-même ce qu’elle est. Nous espérons pouvoir tenter d’en donner ailleurs quelques exemples, à propos de Flaubert et de Dostoïevski. »

Dostoïevski et la mise à mort du père, in Oeuvres complètes, Tome XVIII, page 210.

Ibid., page 214.

Ibid., page 210.

Ibid., page 215.

IDF, tome 3, page 1907.

« Chaque ouvrage de Gustave a l’office de renouveler dans l’imaginaire la crise originelle, c’est-à-dire la Passion du Fils et le meurtre du Père... »

IDF, tome 3, page 1907. C’est moi qui souligne.

IDF, tome 3, page 1908.

IDF, tome 3, page 1908. C’est moi qui souligne.

IDF, tome 3, page 1890. C’est moi qui souligne.

IDF, tome 3, page 1893.

IDF, tome 3, page 1893. C’est moi qui souligne.

IDF, page 1895.

IDF, page 1899.

Totem et tabou, chapitre IV, page 316.

IDF, tome 3, page 1903.

IDF, tome 3, page 1909.

IDF, tome 3, page 1902.